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25-L’énergie, la libido

  1. Libido, origines
  2. Énergie psychique
  3. Métamorphose
  4. Symboles
  5. Le voyage aux enfers ou le retour du Héros

« On peut dire que dans le domaine psychologique le concept de libido a la même signification que celui d’énergie dans le domaine de la physique depuis Robert Mayer« . (Métamorphoses de l’âme et ses symboles, CG. Jung, Georg Éditeur SA, Le livre de poche, 2e partie p.237,1953,87,89,93)

Julius Robert von Mayer (1814- 1878) : Il énonça le premier principe de thermodynamique (1842), il établit l’équivalence des énergies mécanique et thermique (travail – chaleur) et détermina la valeur de l’équivalent mécanique de l’unité de chaleur. Étudiant, il énonça que les plantes vertes réalisent leur synthèse par transformation de l’énergie lumineuse en énergie chimique.

Pour Jung, ce n’est pas la sexualité qui est le moteur du psychisme, mais une énergie vitale indifférenciée qui s’exprime parfois par la poursuite du plaisir sexuel, d’autre fois par la lutte pour le pouvoir, la création artistique, ou diverses activités. Cette énergie vitale est constituée d’une partie physiologique (énergie corporelle) et d’une partie psychique ou libido (énergie mentale).

25.1 – Libido, Origines

Contexte étymologique :

  • Latin, libido ou lubido se rattache à libet (plus anciennement lubet = il plaît, ou lubens =volontiers, volontairement, de bon grè)
  • Sanscrit, lùbhyati = ressentir un violent désir; lôbhayati = excite le désir; lubdha-h = avide; lôbha-h = désir, avidité.
  • Gothique, liufs > ancien haut allemand, liob = lieb = aimant

Jung remonte aux anciens textes latins de Cicéron et utilise le mot libido dans le sens que le latin classique lui a prêté : le sens est dans ce cas désir. Les stoïciens lui donnaient le sens d’avidité sans frein et la distinguaient du vouloir.

« Agere rem aliquam libidine, non ratione ». (Cicéron : « Faire quelque chose par libido, non par raison »). Le mot libido a un sens général, il peut signifier « je veux, il me plaît » dans un certain contexte, « j’ai envie » dans un autre, ou avoir le sens de désir sexuel comme l’entend Saint Augustin : « Libido désigne donc pour lui (Saint Agustin) un appetitus comme la faim et la soif » (idem Métamorphose de l’âme et de ses symboles, p. 235).

25.2 – Énergie psychique

Jung se réfère au concept de libido introduit par Freud dans les Trois essais sur la théorie sexuelle, où Freud observe que la libido paraît capable de se scinder et de se communiquer à d’autres fonctions et domaines sous formes « d’apports de libido ». Ces domaines n’ont en eux-mêmes aucun contact avec la sexualité. Freud compare la libido à un fleuve qui peut se diviser, qu’on peut arrêter et qui se déverse dans des lits collatéraux. Freud reconnaît que « tout » n’est pas « sexuel » et qu’il existe des forces instinctives (pulsions) dont on ne connaît pas trop la nature, mais capables de recevoir ces « apports de libido » (d’énergie). Freud appuie son raisonnement sur l’idée de « faisceau de tendances » (faisceau de pulsions) où la pulsion sexuelle figure comme tendance/ pulsion partielle.

Selon Jung, la théorie sexuelle freudienne des automatismes psychiques est « un préjugé insoutenable », parce qu’il est impossible que la totalité des phénomènes psychiques découle d’un seul instinct, et partant, cela interdit toute définition unilatérale de la libido. Dans l’histoire de l’évolution ce sont les besoins comme la faim, la soif, le sommeil, la sexualité, les états émotionnels, les affects qui constituent l’essence de la libido.

S’appuyant sur la citation d’un passage complet de Freud ( in Jahrbuch für psychoanalytische und psychopathologische Forshung, tome III, p.63), Jung montre qu’en l’état il y a peu d’information et de connaissance de la nature et du dynamisme des instincts humains, et qu’il serait audacieux d’accorder à un seul d’entre eux (l’instinct sexuel…) le primat. «  Aussi est-il plus prudent, quand on parle de libido, d’entendre par ce terme une valeur énergétique qui peut se communiquer à un domaine quelconque, puissance, haine, faim, sexualité, religion, etc., sans être une tendance spécifique ».

Jung parle de tendance là où Freud parle de pulsion, mais c’est toujours un concept-limite entre le somatique et le psychique (entre le corps et l’esprit):

« La tendance est une manifestation vitale mystérieuse de caractère en partie psychique en partie physiologique, appartenant aux fonctions les plus conservatrices de la psyché, et il est difficile, voire impossible, de la modifier ».

Partant de ce constat ( appuyé sur des expériences cliniques) que les tendances sont immodifiables, Jung en déduit que les troubles pathologiques d’adaptation (névroses) s’expliquent plus par l’attitude vis à vis de ces tendances que par une modification de ces dernières. Et l’attitude est un problème éminemment psychologique et compliqué, parce qu’elle ne dépend pas de l’instinct.

Les forces actives de la névrose proviennent de propriétés du caractère et d’influences du milieu (familial et culturel entre autres) qui produisent ensemble une attitude rendant impossible une ligne de vie qui donne satisfaction aux instincts. Pour Jung, l’absurdité instinctuelle névrotique de l’homme jeune tient à une disposition analogue de ses parents et le trouble sexuel est un phénomène secondaire et non pas primaire: « Par conséquent, il n’y a pas de théorie sexuelle, mais une théorie psychologique des névroses ».

Ce n’est alors pas l’instinct sexuel qui donne lieu à la formation de symboles de lumière, feu, soleil, etc., mais une énergie en soi indifférente. Et la disparition de la fonction du réel (lié au principe de réalité) dans la schizophrénie n’entraîne pas une intensification de la sexualité, mais un monde imaginaire portant des traits archaïques évidents, même si au début il peut y avoir des troubles sexuels violents. Ainsi quand un système récent disparaît, un système primitif, donc de caractère plus ancien, peut prendre place.

25.3 – Métamorphose de la libido

Je vais vous citer un passage complet de La Métamorphoses de l’âme et ses symboles, car je le trouve extrêmement puissant dans la compréhension du transfert d’énergie, de sa transformation. De plus ce passage s’appuie lui-même sur un extrait des Upanishads qui remontent à une antiquité indéterminée( sous forme écrite 550 ans avant J.C., sous forme orale à un passé encore plus lointain), et qui représentent l’environnement culturel du Bouddha historique, et auquel le bouddhisme empreinte sa source : La question de la souffrance. Cet extrait décrit comment Atman, Être premier et universel, Être hermaphrodite (bisexué), est à l’origine de l’humanité (ceci renvoie à l’origine de la pulsion de vie chez Freud, voir Freud/ Énergies). Or la notion d’Atman, traduite en termes psychologiques, concorde avec le concept de libido en tant qu’énergie psychique vitale: « Le monde naquit du désir « (Brhadâranyaka Upanishad, I.4, 1, Die Geheimlehre des Veda, 1909).

« En effet il (Atman) était grand comme une femme et un homme quand ils se tiennent embrassés. Son soi, il le divisa en deux parties : de là naquirent époux et épouse. Il s’unit à elle et de là naquirent les humains. Mais elle réfléchit : Comment peut-il s’unir à moi puisqu’il m’a engendrée de lui-même? Eh bien! je vais me cacher! Alors elle se transforma en vache; alors lui devint taureau et il s’accoupla avec elle; de là naquirent les bovins. Alors elle se fit jument ; mais lui devint étalon; elle se fit ânesse, lui âne et il s’accoupla avec elle : de là naquirent les solipèdes. Elle devint chèvre, lui, bouc; elle devint brebis, lui, bélier et s’accoupla avec elle; de là naquirent les chèvres et les brebis. Et ainsi, il arriva qu’il créa tout ce qui s’accouple jusqu’aux fourmis. Alors il reconnut:  » Vraiment je suis moi-même la création, car j’ai créé tout le monde de l’univers. Alors il se frotta ainsi ( les mains devant la bouche) et il engendra de sa bouche comme sein maternel et de ses mains, le feu. »

À travers ce texte, on peut observer le passage de la libido à la production du feu. C’est aussi une parabole visionnaire de la division des cellules (méiose, mitose) et de la génération embryonnaire (morula, blastula, gastrula). C’est une image du chemin de transformation de l’énergie: l’énergie à des stades différents, et à laquelle on donne par convention des noms différents suivant son état d’agrégation.

Au début la bouche a un sens exclusivement nutritif. Le plaisir de la nourriture à prendre, et prise, est localisé à cet endroit. Rien ne permet de considérer ce plaisir comme sexuel ou comme embryon de plaisir sexuel ( opposé à la notion d’étayage si importante chez Freud…). La prise de nourriture trouve en elle-même sa satisfaction, et comme elle est une nécessité vitale, la détente apportée par la satisfaction de la tension due à la faim est plaisir. Puis la bouche prend une autre valeur: elle devient l’organe de la parole. La fonction du langage se surimpose à la signification nutritive. L’activité rythmique accomplie par la bouche traduit une concentration à cet endroit des formes émotionnelles, de la libido. C’est de la bouche, de la parole que vient le feu. On le retrouve dans des expressions comme « des paroles enflammantes, ou ardentes » ou dans l’image du Dragon qui crache le feu, ou même des cracheurs de feu, et le feu est dit « dévorant, mordant ». Le langage et l’utilisation du feu sont deux des plus importantes découvertes de l’homme, et qui le distinguent des autres êtres vivants. Tous deux sont des produits de l’énergie psychique, de la libido ou Mana (notion primitive de l’énergie). »Tout ce qui est fortement accentué, donc tous les contenus chargés d’énergie ont donc une signification symbolique étendue. »

« Langage aussi bien que la production du feu signifièrent un jour triomphe sur l’inconscience animale et furent, à partir de là, les plus puissants procédés magiques pour dominer les puissances « démoniaques » toujours menaçantes de l’inconscient. Ces deux activités de la libido exigeaient de l’attention, c’est à dire concentration et discipline de la libido, et rendaient possible un développement ultérieur de la conscience. L’exécution et l’utilisation incorrectes du rite, au contraire, provoquaient un mouvement rétrograde de la libido, autrement dit une régression, par laquelle l’état ancien, instinctif et inconscient, menaçait de se reproduire ». L’abaissement de la conscience a donc pour conséquence un renforcement automatique de l’inconscient, et c’est pourquoi le rêve dans le sommeil est la voie royale vers l’inconscient.

« Quand on vénère Dieu, le soleil ou le feu, on vénère directement l’intensité ou la force, donc le phénomène énergie psychique, la libido. Toute force et en général tout phénomène est une certaine forme d’énergie déterminée. La forme, c’est l’image, le genre de manifestation. Elle exprime deux sortes de faits: d’abord l’énergie qui prend forme en elle et ensuite le medium dans lequel apparaît cette énergie. On peut d’une part affirmer que l’énergie crée sa propre image, et d’autre part, que le caractère du medium contraint l’énergie à prendre une forme déterminée. » Partant de ce raisonnement, Jung postule que, selon lui, c’est en général la libido qui crée l’image de la divinité en utilisant des modèles archétypiques et l’homme rend par conséquent l’honneur divin à la force psychique active en lui.

25.4 – Symboles de la libido

La comparaison de la libido au soleil et au feu est « analogue » dans son essence, mais elle peut aussi se faire par « cause » au sens où soleil et feu sont objets de l’amour en tant que puissances bienfaisantes.

Il y a 3 sortes de symbolisation de la libido:

  • comparaison analogique : comme le soleil et le feu.
  • comparaisons causatives : a) la libido est désignée par son objet : le soleil bienfaisant. b) la libido est désignée par son instrument ou son analogon : le phallus ou son analogon le serpent.
  • comparaison d’activité: la libido est comparée par ce qu’elle « fait » : elle est féconde comme le taureau.

L’infinité des symboles est ramenée à la libido et ses caractères.

Pablo Picasso. Guernica. 1937
Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia
Pablo Picasso. Guernica. 1937
Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia

Le monumental tableau de Picasso est une dénonciation engagée du bombardement de Guernica, le 26 avril 1937, lors de la guerre d’Espagne, ordonné par les nationalistes espagnols et exécuté par des troupes allemandes nazies et fascistes italiennes.

C’ est un exemple de l’exposition des symboles de la libido : le taureau qui représente Picasso et sa force créatrice ou alors un taureau impassible, symbole de l’Espagne, de la force et aussi de la cruauté puisque le gouvernement nationaliste avait ordonné ce bombardement. En haut à gauche, une ampoule-soleil : lumière solaire, Œil divin ou œil du peintre…

25.5 – Le voyage aux enfers ou le retour du Héros

« Quand la libido quitte le lumineux monde d’en haut, soit en vertu d’une décision, ou parce que la force vitale a diminué, ou parce que la destinée humaine est ainsi, elle retombe dans sa propre profondeur, à la source d’où elle jaillit jadis et retourne au point de rupture, le nombril, par où jadis elle pénétra dans ce corps. Ce point de rupture s’appelle mère, parce que c’est par là que nous vint le courant vital. Si donc il s’agit d’exécuter une œuvre énorme devant laquelle l’homme recule parce qu’il doute de sa force, alors sa libido reflue vers ce point de jaillissement – c’est alors l’instant dangereux où il faut choisir entre anéantissement et vie nouvelle. Si la libido reste fixée au royaume merveilleux du monde intérieur, alors l’homme est devenu une ombre pour le monde d’en haut, il est comme mort ou gravement malade. Mais si la libido réussit à se libérer et à remonter vers le monde d’en haut, alors se produit un miracle: le voyage aux enfers a été pour elle une fontaine de jouvence et de la mort apparente surgit une nouvelle fécondité« .

Jung lui-même a expérimenté cette descente aux enfers, car il avait des tendances schizophréniques (éclatement de la personnalité), et la scission d’avec Freud qu’il aimait tant l’a plongé dans une énorme dépression (il dirait « phase de régression et d’introversion de la libido »)entre 1915 et 1916.

La libido enlevée à la mère (i.e. son archétype l’anima) et qui ne suit qu’à contre cœur devient menaçante comme un serpent, symbole de l’angoisse de mort, car il faut que meure la relation avec la mère et de cela on meurt presque soi-même. En effet, la violence de la séparation est fonction de la puissance qui attache le fils à sa mère, et, plus était fort le lien brisé, plus sa mère lui apparaît dangereuse sous la forme de son inconscient. C’est précisément la Mater saeva cupidinum, la mère sauvage des désirs, qui menace de dévorer, sous une autre forme, celui qui vient de lui échapper ». (p.515). Le héros est celui qui se détache de ses parents pour vivre sa destinée: « On ne revient pas si facilement du royaume des mères ». (p.513)

Par l’introversion et la régression de la libido se trouvent « constellés » des contenus auparavant latents qui sont des images primordiales. Pour Jung l’expérience en fait foi ! Ces images sont les archétypes enrichis de la matière individuelle des souvenirs, et que la conscience peut percevoir comme un réseau cristallin lorsqu’une molécule se cristallise dans l’eau mère. Pour Jung le modèle alchimique est toujours présent en arrière-plan, ainsi la disposition des étoiles, constellation (échelle macroscopique) serait régie par les mêmes lois que celle de la disposition des cristaux, lois organisatrices, structurantes.