- Libido
- La Foi
- L’âme
Les extraits cités sont issus de Métamorphoses de l’âme et ses symboles, CG. Jung, Georg Editeur SA, Le livre de poche, 1993.
24.1 – « Libido toute puissante »
« Quand on vénère Dieu, le soleil ou le feu, on vénère directement l’intensité ou la force, donc le phénomène énergie psychique, la libido. Toute force et en général tout phénomène est une certaine forme d’énergie déterminée. La forme, c’est l’image, le genre de manifestation. Elle exprime deux sortes de faits : d’abord l’énergie qui prend forme en elle et deuxièmement le medium dans lequel apparaît cette énergie. On peut d’une part affirmer que l’énergie crée sa propre image, et d’autre part, que le caractère du medium contraint l’énergie à prendre une forme déterminée. » (p.166)
Partant de ce raisonnement, Jung postule que, selon lui, c’est en général la libido qui crée l’image de la divinité en utilisant des modèles archétypiques et l’homme rend par conséquent l’honneur divin à la force psychique active en lui.
Il en arrive à la conclusion « choquante » que, d’un point de vue psychologique, l’image du dieu serait un phénomène réel, mais en premier lieu subjectif.
» Le dieu est près de toi, il est avec toi, il est en toi » (Sénèque)
« Dieu est amour » et » si nous nous aimons les uns les autres, Dieu reste en nous » (Epître de Saint Jean, IV, 8 et 12). La « caritas » de la Vulgate correspond à l’agaph (grec, agapê = amour). Ce terme du Nouveau Testament provient comme agaphsis (agapêsis = amour, affection) de agapan (agapan = chérir, estimer, louer, accepter, etc.), agapê représente donc bien une fonction psychique.
La libido n’étant pas que l’énergie psychique dont dispose la conscience, elle représente plutôt ici l’énergie propre à l’archétype « Lumière », et donc l’énergie de l’inconscient dont on ne dispose pas. « Porter Dieu en soi, voilà qui veut beaucoup dire : c’est la garantie du bonheur, de la puissance, même de la toute-puissance puisque ces attributs sont ceux de la divinité. Porter Dieu en soi, c’est semble-t-il, être presque Dieu soi-même en somme« ( p.167).
La déification accroît inévitablement la puissance de l’individu. Elle renforce l’individu par rapport à sa faiblesse et à son insécurité trop grandes dans sa vie personnelle. Ce renforcement de la conscience de puissance n’est qu’une conséquence secondaire, extérieure, et les processus sentimentaux sont beaucoup plus significatifs. Celui qui introvertit sa libido, qui la retire de l’objet extérieur, est livré aux conséquences de l’introversion : la libido tournée vers l’intérieur, remonte vers le passé individuel et va chercher les images antérieures qui ramènent aux souvenirs infantiles, aux images paternelle et maternelle qui sont singulières et impérissables. Cette réanimation régressive des imagos parentales joue un rôle symbolique important dans la religion dont les bienfaits rappellent la protection des parents sur leurs enfants. Or le père visible du monde est le soleil, le feu céleste, ce qui entraîne que père, dieu, soleil, feu sont des synonymes mythologiques.
La libido prend une multitude de formes et est représentée par une multitude de symboles. La réduction de tous ces symboles à une source simple, la libido et ses caractères, correspond à un effort historique des civilisations en vue d’une fusion et d’une simplification syncrétiques du nombre infini de dieux. Les analogies, les comparaisons ont fonctionné et ont permis de fusionner une multitude de croyances liées à une multitude de symboles. Cependant cette tendance à rétablir l’unité s’oppose à une tendance, au moins aussi forte, à recréer toujours la multiplicité. Finalement, même dans les religions dites monothéistes, il a été impossible de supprimer la tendance polythéiste: Ainsi dans le christianisme la divinité est scindée en 3, à quoi vient s’ajouter le panthéon des saints.
24.2 – La Foi
« Il est aussi nécessaire aujourd’hui que jamais que la libido sorte du seulement-rationnel et réaliste. Non parce que le bon sens et le réalisme ont quelque peu gagné du terrain ( ils ne l’ont pas fait), mais parce que les gardiens et conservateurs des vérités symboliques, à savoir les religions, ont perdu leur efficacité en face de la science. Même les gens intelligents ne comprennent plus à quoi peut servir la vérité symbolique et les représentants des religions ont négligé de faire une apologétique adaptée au moment. Se maintenir à un simple concrétisme du dogme, ou à une éthique pour elle-même, ou même à une humanisation de la figure du Christ sur laquelle on fait même des essais biographiques insuffisants, tout cela n’intéresse guère. La vérité symbolique est aujourd’hui livrée sans protection à la mainmise de la pensée des sciences de la nature parfaitement inadaptées à cet objet et, dans son état actuel, se découvre absolument incapable de soutenir la concurrence. La preuve de la vérité ne se fait pas. En appeler exclusivement à la foi, c’est faire une pétition de principe sans espoir, puisque c’est précisément l’évidente invraisemblance de la vérité symbolique qui arrête la foi. Au lieu de s’en tenir à la commode exigence de foi, les théologiens, ce me semble, devraient plutôt s’efforcer de montrer comment rendre cette foi possible. Pour cela il faudrait d’abord découvrir une nouvelle institution de la vérité symbolique, une institution parlant non seulement au sentiment, mais aussi à l’entendement. Or cela ne se peut que si, revenant en arrière, on se rappelle comment l’humanité éprouva le besoin d’une invraisemblance des vérités religieuses et ce que cela signifiait de placer, au-dessus de l’être tel quel du monde perceptible et tangible, une réalité spirituelle d’une toute autre nature » (p380).
Jung soulève le problème de la foi et, comme Freud, il pense que nul ne peut être contraint à croire en quoi que ce soit, cependant il reconnaît la valeur des vérités symboliques dont les religions sont les gardiens, et ces vérités sont nécessaires au bon fonctionnement de l’humanité. Compte tenu de la nature de la libido à fonctionner comme un « fleuve », il souhaite trouver une nouvelle pente et un nouveau pôle d’attraction pour cette énergie. Tenant compte de l’analogie entre les principes alchimiques (organisation des cristaux) qui sont une image microscopique et les lois macroscopiques du cosmos, il pense que les seules représentations suffisamment puissantes pour attirer cette énergie, sont les Archétypes: des formes( des complexes ) héritées universellement présentes, et « dont l’ensemble constitue la structure de l’inconscient ». La force des symboles vient des processus instinctifs, et c’est celle-ci qui met les symboles en mouvement. » Le symbole lui-même perd tout sens quand il n’a pas contre lui la tendance qui lui résiste, de même que les instincts désordonnés n’aboutiraient qu’à la ruine de l’humanité si le symbole ne leur donnait pas forme. C’est pour cette raison que nous avons à nous expliquer avec la plus forte des tendances : la sexualité. »
« La foi est un charisma ( don de grâce) pour qui la possède; mais elle n’est pas une issue pour qui a besoin de comprendre quelque chose avant de croire. […]Bien qu’à l’origine et naturellement, on croit à des symboles, il est possible aussi de les comprendre, et c’est l’unique voie praticable pour tous ceux qui n’ont pas reçu la grâce (charisma) de la foi.
Le mythe religieux nous apparaît donc comme une des acquisitions les plus hautes et les plus importantes qui donnent aux hommes sécurité et force pour qu’ils ne soient pas submergé par la monstruosité de l’univers. Considéré du point de vue du réalisme, le symbole n’est pas une vérité extérieure, c’est une vérité psychologique; car il fut et est le pont qui mène à toutes les grandes conquêtes de l’humanité » (p.385).
24.3 – L’âme
La psychologie n’est pas là pour juger les fondements et les vérités religieuses (Freud a la même attitude) qui tiennent aux vérités métaphysiques, en revanche cela n’exclut pas les vérités psychologiques. L’objet de la psychologie est la psyché et ses contenus qui sont des réalités puisqu’ils agissent.
Jung fait un état des lieux sur la notion d’ »âme » :
« Nous ne possédons aucune physique de l’âme ; nous ne sommes même pas capables d’observer ni de juger l’âme d’un point archimédique extérieur: nous ne connaissons donc d’elle rien d’objectif, et d’ailleurs tout ce que nous connaissons de l’âme, c’est précisément elle-même: et pourtant elle est notre immédiate expérience de vie et d’existence. Elle est à elle-même l’unique et immédiate expérience et la condition sine qua non de la réalité subjective du monde en général. Elle crée des symboles qui ont pour base l’archétype inconscient et dont la figure naissante surgit des représentations acquises par la conscience. Les archétypes sont des éléments structuraux de caractère divin de la psyché; ils possèdent une certaine indépendance et une énergie spécifique grâce à laquelle ils peuvent attirer les contenus de la conscience qui leur conviennent. Les symboles fonctionnent comme des transformateurs en ce sens qu’ils font passer la libido d’une forme « inférieure » à une forme « supérieure ». Cette fonction a une telle importance que le sentiment lui attribue les valeurs les plus hautes. Le symbole agit par suggestion; autrement dit, il persuade et exprime en même temps le contenu de ce dont on est persuadé. Il persuade au moyen du numen, c’est à dire de l’énergie spécifique propre à l’archétype. L’expérience que l’on fait de ce dernier est, non seulement impressionnante, elle est à proprement parler « saisissante ». Elle engendre tout naturellement la foi.
La foi « légitime » remonte toujours à l’expérience vécue. […] La naïveté tant vantée de la foi n’a de sens que si le sentiment de l’expérience vécue est encore vivace. Une fois perdue, le danger est grand que la foi ne soit plus qu’une dépendance infantile habituelle remplaçant tout effort de nouvelle compréhension, ou même l’entravant. Il me semble que c’est là la situation d’aujourd’hui » (p. 386).
Le caractère divin des archétypes est dû à leur lien avec la libido, puisque la représentation des dieux est une des formes de la libido (voir Métamorphose de la libido).