« Je pense en effet que, pour une bonne part, la conception mythologique du monde qui anime jusqu’aux religions les plus modernes n’est autre chose que psychologie projetée sur le monde extérieur. » (Psychopathologie de la vie quotidienne, S. Freud, 1901).
- Définitions
- L’Avenir d’une illusion
- Représentations
- Le Père
- Significations
- Mea culpa
- Névrose
15.1 Définitions
Avant d’aller plus avant, je redonne des définitions prise dans le Petit ROBERT (ed. 1984) qui permettent d’éclairer cette phrase :
Mythe : bas latin mythus, grec muthos « récit, fable »; Récit fabuleux qui met en scène des êtres incarnant sous forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine ; Représentation de faits ou de personnages réels déformés ou amplifiés par l’imagination collective, la tradition ; Pure construction de l’esprit ; (1930) Image simplifiée, souvent illusoire, que des groupes d’humains élaborent ou acceptent au sujet d’un individu ou d’un fait et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation.
Animer : latin animare (verbe), anima (nom) « souffle, vie »; Douer de vie; .Donner de la vie.
Religion : latin religio » attention scrupuleuse, vénération », de relegere « recueillir, rassembler » (de legere « ramasser » et au sens figuré « lire »), ou de religare « relier » ; Ensemble d’actes rituels liés à la conception d’un domaine sacré distinct du profane, et destinés à mettre l’âme humaine en rapport (relier) avec Dieu ; Reconnaissance par l’homme d’un pouvoir ou d’un principe supérieur de qui dépend sa destinée et à qui obéissance et respect sont dus; attitude intellectuelle et morale qui résulte de cette croyance, en conformité avec un modèle social, et qui peut constituer une règle de vie.
Psychologie : grec psukhê (psychê) « l’âme sensitive », logos « parole, discours »;( 1690) « science de l’apparition des esprits » ; Connaissance de l’âme humaine, considérée comme une partie de la métaphysique (grec meta phusika » ce qui suit les questions de physique – du grec phusikê « science de la nature ») ; Étude scientifique des phénomènes de l’esprit, de la pensée, caractéristique de certains êtres vivants chez qui il existe une connaissance de leur propre existence.
Esprit : du latin spiritus « souffle »
Âme : du latin an(e)me(XIIIe siècle), anima (XIe siècle) « souffle, vie ».
Si l’on considère les définitions du dictionnaire, voici ce que l’on peut « résumer » :
L’esprit et l’âme sont au départ des mots représentant le « souffle de la vie ». Une des formes de l’énergie de la vie est, pour les humains, le langage. Au moyen du langage (parlé, écrit, dessiné, symbolisé) les êtres humains forment des représentations (images, paroles, récits) du monde extérieur et aussi de leur monde « intérieur ». Ils mettent ainsi en correspondance ces 2 mondes pour comprendre (prendre avec eux, en eux) le monde extérieur, ce qui leur permet de survivre, puis de vivre. Il y a là quelque chose de l’ordre d’un transfert, d’une transformation d’énergie (comme l’électricité qui passe dans un métal et qui se transforme en chaleur).
Les religions (liens entre l’homme et le Pouvoir, le Principe de qui dépend sa destinée, son devenir, son existence) sont basées, issues des mythes. Les mythes sont des représentations (images, paroles, récits) des forces de la nature, des faits, des aspects humains. Ces représentations sont construites, formées par les humains et transportées, échangées au moyen du langage, entre eux. Ces représentations entraînent une attitude intellectuelle (mode, manière de penser) et morale (mode, manière de se comporter) des êtres humains.
Freud, en prenant maintes précautions s’aventure donc à observer un des fondements des sociétés humaines à la lumière de la psychanalyse. Il sait qu’il est sur un terrain extrêmement sensible et qu’il prend le risque de se faire mettre au rang des parias de la société dans laquelle il vit (comme Copernic, Galilée et autres agitateurs de la pensée). Ce risque il l’a déjà pris en affrontant les tabous concernant la vie sexuelle de l’homme. Mais il n’a que faire de tout cela, et quel que soit ce qu’il trouvera au bout de sa recherche, il le prendra comme tel. (Freud porta, par la suite, sur sa recherche un jugement très dur, à Ferenczi il en souligna la faiblesse analytique et le caractère « infantile »)
15.2 L’avenir d’une illusion
(1ère édition tome XVIII des œuvres complètes de Freud/ Psychanalyse (OCF.P), réédition, PUF, 1995)
15.2.1 La Base de la culture
Selon Freud, toute culture repose sur la contrainte au travail et le renoncement pulsionnel. Ce qui suscite inévitablement une opposition chez ceux qui sont concernés par ces exigences.
D’autre part, les biens, les moyens de se les procurer, et les dispositions prises pour se les répartir ne sont pas le caractère essentiel ou unique de la culture. Il y a aussi les moyens qui peuvent servir à défendre la culture, moyens de contrainte et autres qui doivent permettre de réconcilier les hommes avec elle et à les dédommager de leurs sacrifices. Les sacrifices peuvent être décrits comme le fond animique de la culture.
15.2.2 Définitions
Refusement : le fait qu’une pulsion ne peut être satisfaite.
Interdit : le dispositif qui fixe ce refusement.
Privation : l’état qu’entraîne l’interdit.
Il y a une différence entre les privations qui concernent tout le monde et celles qui ne concernent pas tout le monde (i.e. groupes, classes, individus). Les premières privations sont les plus anciennes. Par les interdits qui instaurent ces premières privations, la culture a initialisé le détachement d’avec l’état originaire d’animalité. Ces privations continuent d’être à l’œuvre et de former le noyau de l’hostilité à la culture. Les souhaits pulsionnels interdits sont : l’inceste, le cannibalisme, le meurtre.
Seul le cannibalisme apparaît à tous comme prohibé et complètement surmonté ( en dehors du regard analytique). La force de l’inceste se fait toujours ressentir derrière l’interdit. Le meurtre est encore pratiqué, voire commandé par notre culture et dans des conditions déterminées.
À propos du cannibalisme surmonté, un exemple caractéristique est la symbolisation chrétienne, puisqu’au moment de la communion durant la messe le Christ dit, en rompant le pain et versant le vin: « Ceci est mon corps, mangez-en tous, ceci est mon sang, buvez-en tous ». On y retrouve aussi la notion de sacrifice où le Dieu tout puissant se démembre en mille morceaux pour être intégrer (manger) et donner la vie.
Lors de notre développement les contraintes externes sont peu à peu intériorisées dans l’instance animique qu’est le surmoi. Le surmoi fait de ces contraintes des commandements (ex : autocensure, pudeur). Ce renforcement du surmoi est un fonds culturel très précieux, il permet aux personnes qui ont effectué ce renforcement, de passer d’adversaires de la culture en porteurs de la culture. Plus ces personnes sont nombreuses, plus cette culture est assurée et moins elle a besoin de moyens de contrainte externe (ex : autodiscipline).
Un nombre infini d’hommes qui reculeraient d’effroi devant le meurtre ou l’inceste, ne se refusent pas la satisfaction de leur cupidité, de leur envie d’agression, et de leurs désirs sexuels. Ils nuisent aux autres par mensonge, tromperie, calomnie, tant qu’ils peuvent restés impunis.
Lorsqu’une culture ne parvient pas à dépasser l’état où la satisfaction d’un certains nombres d’individus présuppose l’oppression de la majorité des autres, il est compréhensible que ces opprimés développent une hostilité intense envers cette culture qu’ils rendent possible par leur travail. Ils travaillent, mais n’ont pas accès aux biens ou seulement à une part minime. L’hostilité à la culture manifestée par ces classes est si évidente qu’elle a cachée l’hostilité des couches sociales mieux partagées.
Cependant la satisfaction narcissique provenant de l’idéal culturel permet de dédommager certains opprimés des préjudices subis, car ils s’identifient aux classes supérieures et peuvent ainsi mépriser le monde extérieur à leur propre sphère culturelle.
L’art aussi offre un substitut aux renoncements culturels les plus anciens, et n’a pas son pareil pour opérer une réconciliation avec les sacrifices consentis pour la culture.
Et « last but not least » viennent les…
15.2.3 Les représentations religieuses
Imaginons que ces anciens interdits soient supprimés… un homme a désormais le droit de choisir pour objet sexuel toute femme qui lui plaît, le droit d’abattre sans scrupule son rival ou quiconque lui barrerait la route, le droit de soustraire à autrui sans « permission » n’importe lequel de ses biens…cet homme va rapidement rencontrer des « difficultés », tout autre ayant les mêmes prérogatives, il sera traité sans ménagement (cette situation, n’est pas si ancienne, puisque les duels n’ont été interdits qu’à partir du 17e siècle en France et étaient encore pratiqués lors de la conquête de l’Amérique du nord par les colons européens aux 18e et 19e siècles).
La suppression de la culture est difficilement envisageable. Ce qui subsisterait serait alors l’état de nature qui serait beaucoup plus lourd à supporter…
« c’est précisément à cause de ces dangers dont la nature nous menace que nous nous sommes rassemblés et que nous avons créé la culture qui doit aussi, entre autres, rendre possible notre vie en commun. C’est en effet la tâche principale de la culture, le véritable fondement de son existence, que de nous défendre contre la nature » (chap. III, p.15)
(je rappelle juste l’origine du mot religion : latin religio » attention scrupuleuse, vénération », de relegere « recueillir, rassembler ».)
La nature dans sa puissance cruelle et inexorable nous impose notre faiblesse et notre désaide (Hilflösigkeit : situation du nouveau-né qui a besoin de ses parents pour survivre) auxquelles nous pensions nous soustraire grâce au travail culturel.
L’individu réagit aux dommages causés par la culture et développe une résistance contre les dispositifs de cette culture, une hostilité à cette culture, mais elle le protège contre les surpuissances de la nature, du destin qui le menace, lui comme les autres.
« On ne peut s’approcher des forces et destins impersonnels, ils restent éternellement étrangers. Mais si, dans les éléments, des passions se déchaînent comme dans notre âme propre, si même la mort n’est rien de spontané, mais l’acte de violence d’une volonté maligne, si partout dans la nature on est entouré d’êtres comme ceux qu’on connaît dans sa propre société, alors on respire, on se sent en quiétude dans l’inquiétant, on peut élaborer psychiquement son angoisse dénuée de sens. On est peut être encore sans défense, mais on n’est plus dans le désaide (Hilflösigkeit : impuissance, détresse) et paralysé, on peut pour le moins réagir, peut-être même n’est-on d’ailleurs pas sans défense, on peut, contre ces surhommes exerçant leur violence à l’extérieur, mettre en œuvre les mêmes moyens que ceux dont on se sert dans sa propre société, on peut essayer de les conjurer, de les apaiser, de les soudoyer ; en exerçant une telle influence, on leur ravi une part de leur puissance. »
15.2.4 L’image du père
Cette situation a un modèle infantile, on s’était déjà trouvé, petit enfant, en pareil désaide, face à un couple parental qu’on avait toute raison de redouter – le père surtout-, mais de la protection de qui on était assuré contre les dangers que l’on connaissait alors.
De façon analogue, l’être humain ne se contente pas de faire des forces de la nature des êtres humains avec lesquels il puisse avoir commerce comme avec ses pareils, cela ne tiendrait pas compte de l’impression terrassante qu’il a d’elles. Il leur donne un caractère de père, il en fait des dieux.
Les dieux conservent leurs triples tâches : exorciser les effrois de la nature, réconcilier avec la cruauté du destin, dédommager des souffrances et privations imposées à l’homme par la communauté culturelle.
Progressivement l’accent se déplace, on remarque que les phénomènes naturels se déroulent d’eux-mêmes selon des nécessités internes. Les dieux sont maîtres de la nature, ils l’ont aménagée et la livre elle-même. En ce qui concerne le destin, si les dieux le font, il faut qualifier leur arrêt d’insondable. De là à penser que la Moira, le destin est au-dessus des dieux, le pas est facile à franchir. La nature devient autonome, le destin est contrôlé sans vraiment l’être, il ne reste plus aux dieux que la 3e fonction, le domaine moral.
Leur tâche est désormais de compenser les dommages liés à la culture, de prendre garde aux souffrances que les hommes s’infligent les uns aux autres, et de veiller à l’exécution des prescriptions de la culture.
15.2.5 L’Être suprême
C’est ainsi que se sont créées ces représentations religieuses, nées du besoin de rendre supportable le désaide humain, édifiées à partir des souvenirs de désaide infantile et de celle du genre humain. Dans ce contexte on dira : « la vie en ce monde sert une fin plus élevée, qui, pour n’être pas facile à deviner, n’en signifie pas moins un perfectionnement de l’être humain ». Tout ce qui se passe en ce monde est l’exécution des desseins d’une intelligence qui nous est supérieure et qui, même si elle est difficile à suivre dans ses détours, finit par diriger toute chose vers le Bien, c’est-à-dire vers ce qui nous réjouit. La mort elle-même n’est pas la fin de tout, mais un début d’une existence dans un développement supérieur.
Les lois morales sont celles-là mêmes qui dominent l’advenir du monde, sauf qu’elles sont gardées par une instance juridique suprême avec plus de puissance et de conséquence. La vie après la mort apportera le plein accomplissement dont peut-être nous avons regretté l’absence ici-bas. La sagesse supérieure, la suprême bonté, la justice, telles sont les croyances, sont les propriétés des êtres divins qui nous ont créés. Ou plutôt celles de l’Être divin unique en qui se sont condensés tous les dieux des premiers âges (valable dans la culture occidentale).
Le peuple qui parvint le premier à une telle concentration des propriétés divines ne fut pas peu fier de cela. Il a dégagé le noyau paternel (Dieu le Père…) qui était de tout temps dissimulé derrière chaque figure divine. « Dès lors que Dieu était l’être unique, les relations à lui pouvaient recouvrer l’intimité et l’intensité du rapport de l’enfant au père. »
Toutes ces représentations ont suivi un long développement et ont été fixées à diverses phases par des cultures diverses. Freud a isolé une seule de ces formes, celle qui correspond à la forme finale prise dans la culture blanche et chrétienne contemporaine.
15.2.6 Signification psychologique
« Quelle est donc la signification psychologique des représentations religieuses et sous quelle rubrique pouvons-nous la classer ? »
À cette question qu’il se pose, Freud répond : « Ce sont des dogmes, des énoncés sur des faits des situations de la réalité externe (ou interne), qui font part de quelque chose qu’on n’a pas trouvé soi-même, et qui revendiquent qu’on leur accorde croyance. »
Ils se donnent pour le résultat abrégé d’un long procès de pensée, fondé sur l’observation et la déduction ; à celui qui a l’intention de passer lui-même par ce procès de pensée, au lieu d’adopter son résultat, ils montrent le chemin. Leur revendication à être objets de croyance se fonde sur 3 éléments :
- ils méritent croyance parce que nos pères originaires y ont cru…
- nous possédons les preuves qui nous sont transmises depuis ces premiers âges…
- il est absolument interdit de soulever la question de cette accréditation…
La seule et unique motivation de cet interdit est que la société sait à quel point cette revendication est incertaine. Croire en ce que nos pères ont cru, n’est pas chose simple à la lumière des connaissances acquises aujourd’hui. Ce qui aurait le plus d’accréditation en soi, ce qui signifierait le plus pour nous c’est la tâche qu’ont les religions de nous élucider les énigmes du monde et de nous aider à supporter les souffrances de la vie.
« Celles-ci (les représentations religieuses), qui se donnent comme dogmes, ne sont pas des précipités de l’expérience ou des résultats ultimes de la pensée, ce sont des illusions, accomplissement des souhaits les plus anciens, les plus forts et les plus pressants de l’humanité ; le secret de leur force, c’est la force de ces souhaits ».
15.2.7 Illusions
Lorsque Freud dit que ce sont des illusions, il précise qu’une illusion est différente d’une erreur, elle n’est pas nécessairement une erreur. Ce qui caractérise une illusion est qu’elle dérive de souhaits humains. Une illusion n’est pas nécessairement fausse, c’est-à-dire irréalisable ou en contradiction avec la réalité, mais il n’est pas facile de trouver un exemple qui se soit révélé vrai. Il appelle une croyance illusion quand l’accomplissement de souhait vient au premier plan au niveau de la motivation, dans ce cas il y a abstraction du rapport à la réalité effective. Les doctrines religieuses sont toutes des illusions, indémontrables, et nul ne saurait être contraint d’y croire. Tout comme elles sont indémontrables, elles sont irréfutables. Freud considère que c’est une pure illusion que d’attendre quoi que ce soit de l’intuition et de la plongée en soi-même ; ces dernières ne peuvent rien apporter, si ce n’est des révélations difficilement interprétables sur notre propre vie d’âme, et jamais d’informations sur les questions auxquelles la doctrine religieuse donne si facilement réponse.
15.2.8 « Mea culpa, mea maxima culpa »
Après avoir reconnu d’un point de vue psychologique que les représentations religieuses sont des illusions (au sens de croyances investies de souhait et fort peu réalisables), Freud s’applique à limiter la portée de la provocation en se gardant bien de prendre position sur la valeur de vérité des doctrines religieuses, il dit même que retirer la religion serait de la cruauté : « Même si l’on savait et pouvait démontrer que la religion n’est pas en possession de la vérité, on devrait le taire et se comporter comme le réclame la philosophie du « comme si ». Cela, dans l’intérêt de la conservation de tous ! Abstraction faite du caractère dangereux de l’entreprise, c’est aussi une cruauté gratuite. D’innombrables hommes trouvent dans les doctrines de la religion leur unique réconfort, ne pouvant supporter la vie que grâce à son aide ».
« L’homme a encore d’autres besoins impérieux qui ne peuvent jamais être satisfaits par la froide science, et il est fort singulier, c’est tout simplement le comble de l’inconséquence, qu’un psychologue, qui a toujours souligné à quel point dans la vie des hommes l’intelligence cède le pas à la vie pulsionnelle, s’efforce maintenant de ravir aux hommes une précieuse satisfaction de souhait et entende les en dédommager par des nourritures intellectuelles. »
Cependant il croit quand même fermement qu’il y a plus de danger pour la culture à maintenir un tel rapport à la religion qu’à le défaire.
15.2.9 Où mène la psychanalyse ? au déni de Dieu et de l’idéal de morale ?
La psychanalyse est une méthode de recherche, un instrument impartial : « Si l’on peut tirer de l’application de la méthode psychanalytique un argument nouveau contre la teneur en vérité de la religion, tant pis (en français dans le texte original) pour la religion, mais les défenseurs de la religion auront le même droit de se servir de la psychanalyse pour apprécier pleinement la signification affective de la doctrine religieuse ».
Et puis il revient sur son cheval de bataille…
« La religion a manifestement rendu de grands services à la culture humaine, elle a beaucoup contribué à dompter les pulsions asociales, mais pas suffisamment. Elle a, durant de nombreux millénaires, dominé la société humaine ; elle avait le temps de montrer ce qu’elle est capable de faire. Si elle avait réussi à rendre heureux la majorité des hommes, à les réconforter, à les réconcilier avec la vie, à en faire des porteurs de culture, il ne viendrait à l’idée de personne d’aspirer à une modification de l’état de choses existant ».
15.2.10 Névrose collective de contrainte
Pour grandir en maturité l’enfant doit refouler un certain nombre de pulsions et se confronter à un certain nombre d’angoisses. La plupart de ces névroses d’enfant sont spontanément surmontées pendant la croissance, et les névroses de contrainte de l’enfance ont ce destin.
Par analogie, Freud suppose que l’humanité évolue de l’enfance vers un âge de maturité adulte et qu’elle passe donc par des états analogues aux névroses de contrainte, parce qu’aux temps de son ignorance et de sa faiblesse intellectuelle, c’est seulement par des forces purement affectives que l’humanité a réalisé les renoncements pulsionnels indispensables à la vie en commun :
« la religion serait la névrose de contrainte universelle de l’humanité ; comme celle de l’enfant, elle serait issue du complexe d’Œdipe, de la relation au père. Selon cette conception, il serait à prévoir que se détourner de la religion doit s’effectuer avec la fatale inexorabilité d’un processus de croissance et que nous nous trouvons aujourd’hui même au beau milieu de cette phase de développement ».
15.2.11 Le Dieu Logos (Logos, la parole, le verbe)
L’intellect pourrait remplacer l’affectif, et l’humanité passerait de Dieu à Logos.
« Nous sommes certes loin, très loin, du primat de l’intellect, mais selon toute vraisemblance toutefois pas infiniment loin. Et comme on peut prévoir qu’il se fixera ces buts mêmes dont vous attendez de votre Dieu la réalisation – naturellement réduits à la mesure de l’homme, pour autant que la réalité extérieure, l’Anagch (ananké = le destin, ce qui ne peut pas ne pas arriver), le permette – : à savoir l’amour des hommes et la restriction de la souffrance, nous sommes en droit de nous dire que notre antagonisme n’est que provisoire, qu’il n’exclut pas la réconciliation ». (p.54-55)